Depuis cinq mois, la chambre neuve attend Romaine.
O chers babils ! comme vous serez bienvenus.
Du berceau qui languit semaine après semaine,
Monte un amour plus saint que tous les dons connus.
Son petit nom choyé sonne telle une gloire ;
D’une aube à l’autre, il est le seul qu’on veut ouïr.
La layette déborde aux recoins de l’armoire
Et maint jouet rêve à ses doigts pour l’éblouir.
Pâle, songeuse, ouvrant des lendemains féeriques,
La blonde mère agite un arc-en-ciel de vœux.
Même les coups reçus lui parlent d’Amériques
Où galopent ces mots : "je la veux, je la veux".
Le père à moitié fou câline son beau ventre.
Quel doux miracle ! A qui va-t-elle ressembler ?
De tout, elle est l’écho, de tout, elle est le centre,
L’ineffable Romaine ardente à s’envoler.
Le soir les rend confus de chaudes griseries,
Le matin virginal se colore de chants ;
Et par-delà le monde, avec des mains fleuries,
L’enfant jette à leur cou ses menus bras touchants.
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Mais la mort frappe aussi les chérubins sans âge.
Aucun cri n’est venu resplendir ce jour-là.
La maison endeuillée a changé de visage.
Leurs yeux, leurs pauvres yeux ont perdu tout éclat.
Ils n’entendront jamais son gazouillis céleste.
Le destin fourbe et sot l’a prise en criminel.
Au bout de tant d’amour, comme tombe, il ne reste
Que cette chambre vide au silence éternel.
Poème extrait de "La Blessure des Mots"
L'automne d'une vie
L'espace d'une idylle ou d'une claire aubade,
Va quelques beaux instants,
Par-delà tout orgueil, prendre à la dérobade
Le feu d'un autre temps.
Jusqu'au soir, comme aveugle au milieu de ses leurres,
La vie encore bout,
Et tant pis si des jours et tant pis si des heures,
Nul ne connaît le bout.
Ce qu'avait accompli ta jeunesse gourmande,
Est-ce un éclat défait ?
Et ton regard si long sur tes yeux en amande
Aurait-il moins d'effet ?
Tu viens d'atteindre l'âge où les ans courent vite
Sous une robe à pois ;
L'âge dont quelle femme artistement n'évite
De révéler le poids !
Mais qu'importe le choc des multiples aurores,
Le cortège des nuits ;
Tu marches le sein haut, pleine d'ardeurs sonores
Balayant les ennuis.
Plus belle à chaque pas, noble, mystérieuse,
Sourde même au déclin,
Il semble qu'à tes pieds l'existence rieuse
Sème l'or et le lin.
Avec dllection, tu rends presque éternelle
La semaine à venir,
Et le ciel caressé du coin de ta prunelle
Feint de t'appartenir.
Blonde étoile en essor, lumineuse fleur blanche,
Automne rayonnant,
Chez toi, le vrai bonheur monte, vibre et s'épanche
Superbe et foisonnant.
Eloigne l'avant-goût des chairs bientôt fanées,
Les ombres du cercueil ;
Tes battements de coeur éclipsent les années,
Ton rire étouffe un deuil.
A travers les chemins où vivre est une fête,
Ose emporter l'amour,
Avant que ta royale et chaude silhouette
S'efface au point du jour.
Poème inédit extrait de "La Blessure des Mots"