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29 août 2007 3 29 /08 /août /2007 20:58

Tout va bien de Thierry CABOT



L'argent

 


Qu'il s'en défende ou non, le moins intéressé d'entre nous entretient une relation ambiguë avec l'argent. Même dédaigné, même pris en haine, celui-ci ne nous lâche pas d'une semelle et les rares hommes qui s'efforcent de l'oublier savent qu'il peut se rappeler à eux d'une manière foudroyante car s'il n'est point nécessaire de l'aimer pour en avoir besoin, il n'est pas plus indispensable d'en jouir pour en être débarrassé. Ce diable d'argent est comme une sangsue envers laquelle on ne se sent jamais quitte. Quand vous croyez le tenir à distance, il vous fait du jour au lendemain regretter votre insupportable candeur, quand vous tentez de le neutraliser, il ressurgit à un endroit où vous ne l'attendiez guère et quand vous avez le bon goût de le mettre entre parenthèses, c'est lui qui vous contraint de céder à ses injonctions. Sa tyrannie, en somme, ne connaît aucune limite.

Aussi, dans la société actuelle, bien étranges sont ceux pour lesquels l'argent ne signifie rien ou plutôt dont la vie entière se dérobe à son emprise. La sainteté par exemple qui, sous sa forme la plus achevée, plane au-dessus des contingences matérielles, fait d'autant plus figure d'exception qu'elle suscite infiniment moins de vocations à l'échelle d'un pays que n'en suscite à la seule échelle d'une ville un espoir de gain au loto national. Au dénuement d'un moine détaché de tout, la majorité écrasante de nos concitoyens préfère quand même le lustre d'un joueur chanceux subitement privé de rien, et la fascination que leur inspire un certain détachement spirituel est ma foi vite éclipsée par la convoitise que font soudain naître en eux d'alléchants et désirables biens terrestres. Donc, ce n'est pas semble-t-il demain que les couvents regorgeront de monde.

Mais examinons d'abord la situation d'un humble foyer où l'abondance a tout l'air d'une pure fiction puisque Madame et Monsieur Lagnin depuis des années tirent le diable par la queue sans jamais voir la fin de leur calvaire. L'un gagne-petit, l'autre dépourvu d'emploi, ils n'entendent, eux, vraiment, vraiment rien au langage de la religion ou de la philosophie et rongent de plus en plus mal leur frein devant le déploiement de richesses que quelques-uns de leurs compatriotes n'ont de cesse d'étaler sous leurs yeux. Comme toujours, les difficultés financières entrent chez les gens d'une manière insidieuse ; c'est tantôt une facture trop lourde, tantôt des ennuis de santé, tantôt encore une mesure de chômage technique. Insensiblement le mal s'accroît et les choses s'accélèrent. Un retard de loyer annonce de nouveaux tracas. Déjà après avoir dépensé toutes ses économies, notre ménage aux abois jongle maintenant trois semaines sur quatre avec les découverts bancaires. Face à la montée des périls, les expédients se multiplient. Malgré les circonstances, Madame et Monsieur Lagnin s'enlèvent presque le pain de la bouche pour que leur fillette âgée de six ans n'ait pas le moins du monde à souffrir de la gêne au milieu de laquelle ils se débattent. L'approche de la rentrée des classes va marquer le signal de tous les dangers. A la cherté des fournitures scolaires dont la liste ira s'allongeant à vue d'oeil, vont s'ajouter maints frais annexes que par anticipation ils passent vite en revue. Qui sait d'ailleurs si l'enseignant de la petite ne cèdera pas à quelque lubie, comme en sont friands parfois les instituteurs qui, au lieu d'un produit de consommation courante, préconisent l'achat d'un article hors de prix abandonné à son sort, un mois plus tard, au fond d'un cartable ? Le couple échafaude alors de terribles scénarios où des menaces peu fondées côtoient de légitimes alarmes. Leur vie n'est plus rythmée que par la succession de ces plaies d'argent qui, pour n'être pas mortelles, n'en empoisonnent pas moins le quotidien de nombre d'entre nous. Combien de moments n'ont pas du tout la même saveur lorsque les affres de l'anxiété y déversent leurs poisons ! Combien de journées gâchées ! Combien de nuits sans sommeil ! Combien de plaisirs tués dans l'oeuf ! Négligeables sous d'autres latitudes, les problèmes de sous prennent ici des dimensions insoupçonnées et dans sa quasi impuissance à satisfaire des besoins toujours plus impérieux, chaque foyer modeste constitue un lieu de déchirements, un nid de malheurs si bien que, aujourd'hui encore, Madame et Monsieur Lagnin peinent à rembourser les traites d'une automobile spécialement destinée à un déplacement professionnel devenu à la longue sans objet.

Alors avisez-vous de dire à ces gens-là que l'argent ne procure en rien le bonheur, ils vous sauteront immédiatement dessus ou vous riront au nez. Car ceux-ci, croyez-le bien, ont fait la douloureuse expérience du contraire en mesurant jour après jour le tour de force que représente la gestion d'un budget fuyant de toutes parts. Inutile aussi de faire appel à leurs bons sentiments. Si l'image d'un enfant décharné aperçu à la télévision a su une ou deux minutes exciter leur pitié, Madame et Monsieur Lagnin n'en arrêteront pas pour autant leurs récriminations contre les nantis auxquels ils rêvent de ressembler. La famine observée dans un coin du tiers-monde n'est pas vraiment leur affaire mais ils se sentent on ne peut plus concernés par leur voisin bedonnant qui, au volant de sa luxueuse Mercédès, paraît les narguer de loin et ignore tout des fins de mois difficiles. Est-il même certain que ce monsieur respectable doive à son seul mérite le niveau élevé de ses revenus ? Comme des bruits le laissent supposer, son aisance actuelle n'aurait-elle pas en fin de compte une origine douteuse ? De fil en aiguille, l'aigreur du couple se donne libre cours, en lui des passions longtemps refoulées bouillonnent avec frénésie et quelque chose de haineux, venu du fond des âges, contracte ces figures sur lesquelles grimacent par éclairs les crispations de l'animalité.

A force d'avoir bu jusqu'à la lie, des années durant, la coupe amère des plaintes maternelles, Madamoiselle Lagnin à son tour n'a que le mot argent à la bouche. Le moindre achat la pousse ainsi à rendre des comptes : - Cela ne m'a pas coûté que sept euros quarante huit. Le prix est franchement abordable. Grand Dieu ! ajoute-t-elle plus tard au sujet d'un autre article, ai-je les moyens de m'offrir un tel chemisier ? Et à ce moment-là un regard complice échangé entre les parents et la fille scelle leur accord immédiat, comme s'ils parlaient depuis toujours la même langue. Ce n'est pas tout. Le cyclomoteur de Nadia, une amie d'enfance, vaut bien la bagatelle de mille cent vingt cinq euros. Karine a exhibé devant elle une trousse à maquillage dont en magasin elle a vu l'exacte réplique à douze euros quatre-vingt neuf. Elle suppose que Benjamin, qui ne roule pas non plus sur l'or, vient d'acquérir un pull-over au moins soldé à soixante dix pour cent et que, par conséquent, sa vraie valeur doit avoisiner au bas mot les cinquante et un ou cinquante deux euros. En revanche, elle craint de n'être jamais capable d'estimer le coût précis des nouvelles chaussures que porte une dénommée Angélique, restée obstinément silencieuse en dépit de ses questions pressantes. La liste pourrait s'allonger à qui mieux mieux tant Mademoiselle Lagnin pense argent, parle argent, rêve argent. Au point où se situe son obsession de l'avoir, elle voit par-dessus tout chez autrui la solidité d'un placement bancaire, les signes palpables d'un joli train de vie, les marques certaines d'une vie cossue. A ses yeux, le monde est composé de deux catégories irréconciliables, l'une remplie de gens comme elles qui au milieu de soucis matériels de toutes sortes, s'efforcent de garder le cap, voire de surnager, l'autre constituée de personnes à l'abri du besoin pour qui une bielle coulée sur la route ne semble tout au plus qu'un incident désagréable, et à laquelle hélas ! elle désespère d'appartenir jamais. En outre, imagine-t-on une minute combien la distance est faible de la précarité à la misère, combien il est facile tout à coup à cause d'une mésaventure d'être précipité vers l'abîme, combien il en faut peu finalement pour qu'une existence encore fière d'elle-même bascule en un clin d'oeil dans la tragédie, la honte et l'extrême pauvreté ? Ayant été à bonne école, Mademoiselle Lagnin tourne souvent vers les riches des regards d'envie et la peur de devenir un crève-la-faim l'empêche bien des fois de trouver le sommeil. A dix-neuf ans, son emploi de caissière à temps partiel n'ayant rien d'affriolant, elle est suffisamment instruite des menaces qui la guettent et demeure surtout hantée par le spectre de l'exclusion dont, semaine après semaine, les médias se font l'écho à travers des témoignages saisissants. Quelquefois donc, les repas en famille sont vraiment sinistres. A l'amertume des parents, plus aigris encore avec l'âge, se joint bientôt celle de leur fille, effrayée quant à elle par l'avenir qui l'attend. Devant un plat de nouilles confectionné à la hâte, leurs rancoeurs confondues s'épanchent même à la moindre occasion et c'est un vrai salmigondis de sots griefs, de haines tenaces et de jalousies mesquines, dans lequel chacun vient à épouser les préjugés de l'autre.

Hélas ! la leçon paraît assez claire. A moins d'avoir des dispositions particulières pour l'ascétisme, un individu vivant dans nos sociétés développées et à qui manque le nécessaire, s'expose toujours à de longues souffrances. Sans cesse il tâche sur le fil du rasoir de redresser la tête. Il a beau déployer des trésors d'énergie et se démener comme un beau diable, un accident imprévu saura tôt ou tard bouleverser l'équilibre de son budget. Constamment, il doit se livrer à de périlleux exercices afin de préserver l'essentiel, c'est-à-dire son honneur et sa dignité. Mais dans ce combat permanent où la victoire n'est jamais acquise, je ne sais quelle dégradation morale le corrode en chemin. Oui, cet homme-là ni pire ni meilleur que quiconque, se laisse peu à peu gagner par le découragement et la colère au contact de réalités qu'il ne maîtrise plus et, faute de pouvoir élever son esprit vers des nourritures plus spirituelles, mord avec d'autant plus de ressentiment le pain noir de la gêne. Une forme d'animosité latente se fait jour en lui. Il impute à autrui, sans même s'en rendre compte, la cause de ses difficultés. Imperceptiblement son coeur se durcit. Trop longtemps contenues, les forces cumulées de l'envie et de la rancune lui dictent des remarques désobligeantes lâchées tout à coup sous la pression des événements. Et c'est là qu'une personne naguère attachante va pour la vie tourner au vinaigre, se gâter puis s'avilir, mettre ses qualités au seul service de ses défauts et abîmer jusqu'à sa propre progéniture en la culpabilisant à longueur de journée. Terrible drame alors ! que celui de cette lente décomposition d'un être abandonné aux pires démons et qui, suspendu entre le vide et le désespoir, voudrait faire payer au premier venu ses multiples échecs. Effroyable descente aux enfers ! que celle de ce monsieur bien sous tous rapports auquel la société refuse depuis tant d'années le droit à une existence honorable et que des revenus à peine moyens auraient cependant comblé au-delà de l'imaginable. Après cela, comment soutenir que l'argent n'a aucune utilité !

Les riches, convenons-en, sont à des années-lumière d'événements aussi fâcheux ; leur compte en banque ne menace guère de virer au rouge, l'usage du riz et des pâtes n'encombre pas leurs menus, l'achat d'une paire de lunettes n'entame point leur optimisme, c'est à peine s'ils jettent un oeil sur leurs factures, le remplacement d'un véhicule est une pure formalité non dépourvue d'agréments et la perte d'un billet de cent euros constitue au pire une anecdote.

Et pourtant ! et pourtant !

Quel lourd tribut payé à l'argent quand, fléau des fléaux, l'abondance contribue non seulement à gommer les aspérités de l'existence mais rend également à peu près odieux tous ceux qui en jouissent. A ces gens-là amoureux surtout de leur nombril, la réalité vécue par des millions d'hommes devient même tellement étrangère qu'ils doivent se pincer pour entrevoir quelque peu le sort de leurs contemporains. La condition ouvrière par exemple leur apparaît comme une chose lointaine dont il est vaguement question dans les livres, que l'on appréhende tant bien que mal à la lecture des journaux et que l'on découvre parfois au hasard d'une émission télévisée. De la même façon, ils sont bien incapables de se figurer les mille et un tracas qui traversent le quotidien de la plupart d'entre nous. Car le leur épouse la forme de leurs caprices, embrasse des horizons inconnus et poursuit maints sujets frivoles.

C'est ainsi que le maquillage de Madame lui inspire du matin au soir cent vains propos. Au milieu des agitations les plus sottes, les soirées mondaines la voient toujours en verve et elle possède le rare talent de distiller son fiel sous des préoccupations désespérément futiles. Quelquefois du champagne bu à une température trop élevée lui arrache un torrent de sarcasmes lorsque, de retour chez elle, je ne sais quelle fureur la saisit tout à coup à l'évocation du terrible supplice qu'une prétendue amie vient de lui infliger. Il arrive aussi qu'elle déplore avec une figure de circonstance le scandaleux mauvais goût dont témoignent les choix culinaires d'une hôtesse. Et comme à tout moment son esprit critique s'exerce aux dépens d'autrui, elle ne trouve pas de mots assez durs pour stigmatiser l'auteur de l'outrage. D'ailleurs, si étonnant que cela paraisse, Madame souffre des imperfections du monde. Elle s'imagine - non, vous ne rêvez pas ! - que l'univers entier demeure à son service par quelque décret du Ciel remontant à sa naissance. Héritière d'un empire financier à l'édification duquel elle n'a jamais apporté une goutte de sueur, il lui est en somme extrêmement pénible et vraiment fort cruel, du haut de sa vie oisive, de devoir chaque fois s'insurger contre des défauts aisément corrigeables. C'est que Madame n'est pas loin d'imaginer que tous les hommages lui sont dus et que le peuple des sans grade auquel va tout son mépris, n'est venu sur la terre que pour satisfaire le moindre de ses désirs. Elle écrase de toute sa morgue cette masse laborieuse si prompte à se rebeller et à peine digne d'être commandée sans ménagement. Je paie, donc j'ai tous les droits. J'exprime ma volonté et sur-le-champ je dois être obéie. Ou alors je brandis la menace avec autant d'aplomb que le portefeuille, et quand l'envie m'en prend, je sais au besoin user de représailles puis salir et humilier ceux qui d'aventure ont le front de me résister.

De temps à autre, l'infortunée créature est sujette à des vapeurs. Ce sont des crises inexplicables au bout desquelles elle éprouve le sentiment d'avoir plongé au fond d'un gouffre. La mine défaite, les yeux hagards, elle devient la proie de terreurs irraisonnées où se déchaînent brusquement les démons qui l'habitent. Sa bonne, qu'elle rabroue si facilement à l'ordinaire, daigne bien, la brave femme, lui appliquer sur le visage un mouchoir mouillé et accourt dans sa chambre à la moindre alerte quand Madame d'une voix aiguë pousse des cris à ameuter le quartier. En toute hâte, il faut alors lui donner un calmant, l'entourer de mille soins, multiplier les prévenances tellement la situation prend aussitôt un caractère mélodramatique frisant le délire. Madame, elle, inconsciente du ridicule auquel elle prête le flanc, agite les bras de plus belle ou bien, les lèvres pincées, porte la main sur son coeur comme si elle allait mourir à la seconde même. Ses pupilles dilatées sont traversées d'éclairs farouches dont la violence fait ressortir plus encore la pâleur de ses traits. Le personnel de maison, interpellé à tout propos, court du rez-de-chaussée à l'étage pour s'enquérir de l'évolution de sa singulière maladie en redoutant chaque fois la survenue d'un nouveau malaise. Dès que Madame retrouve un peu ses esprits, soudain rien n'est pareil. Ayant recouvré comme par miracle une santé de fer, voilà que l'être à moitié moribond qui tout à l'heure s'apprêtait à expirer sous les yeux de tous, se métamorphose en un clin d'oeil et immédiatement affiche sa mauvaise humeur envers les témoins de la scène où il a joué son meilleur rôle. A ces moments-là, mieux vaut filer à l'anglaise avant que l'acrimonie de la "ressuscitée" n'atteigne un niveau insupportable. Car Madame, convaincue d'avoir fait preuve de faiblesse, entend bien illico rappeler à cette vulgaire piétaille la place prééminente qui est la sienne, si tant est qu'elle l'ait une seule minute oubliée. Des mots pleins d'aigreur lui viennent donc à la bouche, des mots à travers lesquels elle exprime tout le mépris que lui inspirent ces besogneux de troisième ordre.

Absorbé par de hautes fonctions, son époux ne la voit que le soir, à une heure tardive, et là justement quelle n'est pas d'ailleurs sa surprise de la trouver les nerfs à fleur de peau, au sortir d'une de ces crises mémorables. Mais sa femme qui fait l'objet d'une sorte de culte, semble déjà en mesure de tout se faire pardonner. Avec une expression mi-dubitative et mi-amusée, il lui glisse des cajoleries à l'oreille avant de lui entourer la taille d'un bras protecteur.

Madame est aussi, le cas échéant, capable d'une frénésie d'achats ; ses coups de coeur sont autant de coups de folie. Multipliant les dépenses, elle achète une robe à un prix démentiel, se prend de passion pour trois paires de chaussure reléguées bientôt dans un placard, fait l'acquisition d'un fauteuil ancien dont on lui a vanté l'extrême rareté et qu'elle mettra demain au rebut, se jette littéralement sur un bibelot prétendu original et auquel elle ne pensera plus au bout de cinq jours, fond comme jamais devant un bijou aperçu à devanture d'un magasin et qu'elle portera au mieux quelques semaines à son cou. En une journée parfois, les chèques émis se succèdent à un rythme effréné. D'un engouement à l'autre, Madame perd tellement la tête qu'il lui arrive même en réglant un énième article de ne plus se souvenir du tout de la couleur du premier. L'argent ne vaut rien ou plutôt l'argent permet tout. De tels gaspillages deviennent d'une certaine façon un nouvel art de vivre où la prodigalité fait office d'occupation supérieure destinée à des êtres hors du commun chez qui les excès en tout genre s'apparentent à une forme de vertu particulière. Et puis décidément combien il est chic ! d'ouvrir son porte-monnaie au moindre caprice et de promener sa démesure sous le regard bienveillant d'un commerçant madré. Quelle sensation délicieuse ! d'exciter la convoitise des autres clients, si nombreux en fait à être subjugués par une telle débauche de dépenses et qui, le plus souvent, donneraient cher pour user d'un tel privilège.

Mais à quoi servent, en dernier examen, cette inconstance pleine de fatuité, cette soif d'éblouir les autres, ces gesticulations nourries de vacuité dédaigneuse ? A quoi se résume la vie de ces riches qui d'un claquement de doigt sont persuadés de conquérir le monde ? Mon Dieu ! mon Dieu ! à pas grand-chose, à un tourbillon échevelé, à une bulle à la surface de l'eau, à un jeu dérisoire frappé de stérilité. Et tandis que d'aucuns affrontent cent privations quotidiennes au point d'en devenir les esclaves, eux libérés de tout souci matériel demeurent étrangement prisonniers du pouvoir que la fortune leur procure. Mieux encore, voilà qu'au lieu de les affranchir de bien des vicissitudes et ainsi des les rapprocher de l'essentiel, l'argent les en éloigne d'autant plus qu'il forme un écran entre ce que l'on appelle communément la "vraie vie" et l'univers de paillettes où s'aiguisent avant tout leurs passions. En effet, comme des papillons aveuglés par la lumière, la plupart de ces grands privilégiés se brûlent mille fois les ailes, gaspillent dans des préoccupations superficielles une énergie immodérée et, folie suprême, s'ingénient à croire que l'épaisseur de leur compte en banque leur tient lieu à la fois de cervelle et de coeur.

Faut-il alors se laisser enfermer par cette alternative : être pauvre ou riche ?

Non, bien entendu, car il est aisé de voir que l'un et l'autre tournent chacun le dos à un équilibre et une harmonie dont nul semble-t-il ne saurait sans dommage s'écarter trop longtemps. Ceux-ci, sous des angles opposés, partagent une sorte de négation des valeurs de l'existence, soit que des ennuis d'ordre pécuniaire empêchent le premier de vivre ou que le second, à force de côtoyer le luxe, ait à moitié perdu son âme. Qui n'a pas senti, au demeurant, que c'est lorsqu'il vient à manquer ou quand il règne en maître que l'argent devient le plus dangereux ? Qui n'a pas remarqué que c'est dans les situations où il dicte le moins sa loi que ce dernier prend un visage moins hostile, comme si tout compte fait son effacement relatif allait le moins à l'encontre de l'épanouissement du plus grand nombre ?

Est-ce à dire que le juste milieu serait un moindre mal.

Pour notre part, nous le croyons un peu.

 

Thierry CABOT Tout va bien ( voir aussi le poème "L'argent" extrait de "La Blessure des Mots") http://www.p-o-s-i-e.over-blog.net


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  • : Thierry CABOT
  • : Il réunit des textes extraits de mon oeuvre poétique intitulée : " La Blessure des Mots "
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